Pourquoi Raoul Villain (l’assassin de Jaurès) a-t-il été acquitté ?
Un article de Charles Silvestre paru dans l’Humanité du 18 mars 2011
Livre : Le deuxième assassinat de Jean Jaurès. Le procès de l’assassin de Jaurès, Éditions Pagala, 450 pages, 42 euros.
Quatre cent cinquante pages pour résoudre une énigme : comment l’assassin de Jaurès, Raoul Villain, a-t-il pu être acquitté le 29 mars 1919 ? L’ouvrage n’est pas un roman policier, il donne à lire l’intégralité des débats qui se sont déroulés du 24 au 29 mars 1919 dans la salle d’audience des assises de la Seine. Ce scandaleux verdict, on peut et on a pu l’attribuer au jury composé exclusivement de « bourgeois » mais le mal était plus profond, plus politique, plus moral. On peut le résumer en quelques mots : puisque tous les débats tournèrent autour du patriotisme, celui de la victime et celui de l’assassin, Villain pouvait être présenté par ses défenseurs comme un patriote sujet à un « moment d’égarement ».
L’institution judiciaire elle-même a permis cette manipulation. D’abord en acceptant le report du procès prévu en 1915, à la demande de l’accusé lui-même. Et que dit Villain, dans sa lettre, qui se donne déjà, avec perversité, le beau rôle patriotique ? Que le procès risque de troubler l’union sacrée de la guerre en cours. À l’ouverture des assises, le président dira au prévenu : « Vous êtes un patriote Villain », lui reprochant de ne pas avoir « pensé » aux conséquences de son geste pour un pays qui avait besoin d’union. L’idée est reprise jusque dans le réquisitoire par l’avocat général, demandant « une condamnation, mais une condamnation atténuée ».
Le vice du procès vint aussi, paradoxalement, du « camp » de Jaurès. On était en 1919, au lendemain de la guerre « victorieuse » contre « l’ennemi » allemand. René Viviani, le président du Conseil de juillet 1914, dans son témoignage, enrôle Jaurès dans l’union sacrée. Et même Pierre Renaudel, désormais à la tête de l’Humanité, dit de son prédécesseur : « Il eût fait rayonner notre politique de guerre. » L’important était, face à la calomnie du « traître » opposé à la guerre, de rendre à Jaurès et aux siens leur « honneur de Français » !
Il restait à Alexandre Zévaes, l’avocat de Villain, le « renégat socialiste », à glisser cette perfidie : si les socialistes eux-mêmes ne s’accordent pas sur le patriotisme de Jaurès, au titre de son refus de la guerre, pourquoi son client n’aurait-il pas eu droit, sous la pression d’une presse déchaînée contre le pacifisme, à sa propre « interprétation » ? Ainsi Jaurès fut-il tué symboliquement une deuxième fois. Avec cette chose incroyable : en six jours d’audience, personne pratiquement ne rappela les millions de pauvres morts. Après « l’union », c’est la guerre qui était devenue sacrée. Il ne faudra pas longtemps pour que le réveil s’avère douloureux, confirmant la mise en garde de Jaurès : « Si la patrie ne périssait pas dans la défaite, la liberté pourrait périr dans la victoire. »
Charles Silvestre.
si Villain n’avait pas été en prison il serait peut-être mort à Verdun !!!!
L’assassin de Jaurès, qui se disait grand patriote, a en effet passé ces années de guerre beaucoup plus paisiblement que ses concitoyens envoyés sur le front.
Plus généralement : une bonne partie des « grands patriotes » et des grands va-t-en guerre qui, dans certains journaux, exaltaient la haute valeur du sacrifice, étaient dans des âges ou des situations leur permettant d’éviter de mettre leurs théories en pratique.
Comme le chantait Brassens :
« Les Saints Jean bouche d’or
Qui prêchent le martyre
Le plus souvent, d’ailleurs,
S’attardent ici bas.
Mourir pour des idées,
C’est le cas de le dire
C’est leur raison de vivre,
Ils ne s’en privent pas
Dans presque tous les camps
On en voit qui supplantent
Bientôt Mathusalem
Dans la longévité
J’en conclus qu’ils doivent
Se dire, en aparté:
Mourons pour des idées
D’accord,
Mais de mort lente,
D’accord
Mais de mort lente. »
pardon mais on ne sait toujours pas pourquoi jean jaurès fût assassiné..cet article au demeurant bien écris ne m’en apprends pas plus sur le mobile du meurtrier..
Bonjour,
Nous reviendrons bientôt, dans un autre article, sur les haines dont Jaurès était victime, et donc aussi sur les mobiles possibles de son assassinat. Le mobile de l’assassin n’étant pas la seule cause, l’homme ayant été mentalement armé par toute une culture de haine contre Jaurès, liée au pacifisme mais aussi au socialisme…
A suivre donc…